au village

depuis Marseille
thibault lemonde



à écouter|4' - 5,7 Mo mp3|





à lire

Au village tout le monde travaille. Le long d'un chemin qui part de la place principale et s’enfonce dans la vallée, à un quart d'heure à pied, se trouve une vache qui se nomme Kamila, assise actuellement en train de ruminer. Elle n’est pas la seule et devra comme les autres, à seize heures, rentrer à l'étable. Quant aux plus jeunes vaches, les génisses, elles ont été déplacées loin dans un alpage, pour l’été. Là-haut, personne ne les surveille. Au village hommes et femmes travaillent au jardin, déblaient la neige, scient du bois, circulent en voiture pour aller au travail. C'est lors de la fête du village que beaucoup se saoulent, surtout les hommes. Mais quelques femmes en font autant, et en fait autant de femmes et autant d’hommes se saoulent, chantent, se disputent ou se font la cour. Les enfants circulent-ils en bande? Cela leur arrive, et parfois d'être assez méchants, soit avec un autre enfant, soit avec une vieille femme qu'ils appellent « la folle ». Ou avec une autre vieille femme à qui ils doivent beaucoup, bien qu’ils préfèrent ignorer ce qu’ils lui doivent. Elle leur a dit un jour: "Souviens-toi Hervé quand tu était petit, comme avec ton père tu étais gentil". Personne ne se plaint en fait au village. Les jeunes font de la moto, vers le cimetière. Nous sommes tous à avoir une amoureuse. De temps en temps on rencontre quelqu'un qui n'a pas l'air à sa place, comme l'institutrice dans son jardin, heureuse, la binette à la main. C’est très simple. Tous les âges sont représentés dans ce village. Il n'est pas interdit de suivre un troupeau qui rentre à l'étable, à condition d’être un enfant peut-être, rien ne choque, sauf ce qu'on ignore. "La pute" est là le soir à la fête. La semaine, certains remarquent l'imposante voiture offerte par son mari. Pourtant ses enfants n’ont rien en défaut (mais ils deviendront peut-être tous plus ou moins répugnants, comme ils semblent déjà l’être). C’est une horreur la bêtise de certains. C’est après la messe que les plaintes commencent, bien que le moment soit parmi les plus chaleureux. Peut-être un dégoût arrive, global. Le dégagement des remblais, la réfection des routes : tout s’est passé comme il fallait. J’ai dit que tout le monde travaillait et que personne ne se plaignait, pourtant, une fois, nous avons collectivement jeté une pierre sur une belle voiture, qui ne se fit pas attendre pour réagir : il y eut un coup de frein et le conducteur se mit à poursuivre le jeteur de pierre dans un champ recouvert de purin jusqu'à ce que le gamin tombe et se fasse corriger, et que ses parents en soient informés. La même compagnie de car circule du matin au soir. Elle emmène à l’école les grands, qui déconnent au fond du car. On a dit que les enfants traînaient en bande, ne serait-ce qu’à deux, mais même à deux ils se croient plus nombreux. Est-ce bien grave finalement, d’être grondé ? Par la mère d’un ami, cela peut arriver, et ça nous change, mais je suis sûr qu’elle nous gronde moins fort qu’elle ne le gronde lui. Les familles entre elles ont des histoires, et même celles qui ne se connaissent pas. Il y en a qui habitent très haut dans le village, c’est comme s’ils ne nous fréquentaient pas. Ils font de la moto. Les jeunes font de la mobylette, il y en a un qui est mort. Construire des cabanes, tantôt avec un adulte, tantôt seul, tomber sur un renard mort, cela arrive à tout le monde. Il se dit que les cafés ferment, mais personne n’y croit. Tous les couples auraient beau péricliter, divorcer, cela ne changerait rien. Divers événements ponctuent la vie du village. Pour tous l’odeur des foins dans une grange est un événement présent, inlassablement répété, même pour ceux qui s’en fichent, qui boudent le village. Ceux qui sortent du lot laissent indifférent. Hélas les progressistes ne sont pas pris au sérieux.




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