Navigations, voyages : y a-t-il quelque chose d’achevable en ce domaine ?
C’est une histoire en soi ce volume : noirci, recolorisé, nourri, dégraissé, successivement, durant des années...
Une tentative en 7 ou 8 versions (avec ce qu’il a de positif, comme lieu d’apprentissage, de travail de la pâte, de la matière, de questionnement, de problèmes de distanciation, de génération complexe du récit, et de « mise en matière » : du carnet intime à la plus large et plus globale représentation...) ou bien, peut-être, l’œuvre d’une vie, un volume qui accompagne et se modifie et se développe et mue selon les périodes, les doutes, les trouvailles...
Le livre s’était constitué peu à peu, et jusqu’au cours de chapitres qui, de balbutiés, sont allés vers plus de précision, sans idée au début mais avec une préoccupation, le même instinct constant : oscillant sans cesse de l’écriture d’une aventure à l’aventure d’une écriture, pour aboutir là où la préoccupation l’avait fait naître. De chaque partie, les dernières pages toujours avaient été là, premières.
Le cœur, c’est évident, ce sont ces visions. Ces moments purs, d’intime cohérence en soi, de transcendance, de révélation...
Peut-être aurait fallu partir de cela, de ce point central, plutôt que le contraire ?
Ce point, ce centre, c’est ce C’EST (que j’ai posé à la fin, en tout dernier, tout d’abord sans trop savoir ce qu’il signifiait, mais en sachant que forcément il signifiait puisqu’il était tombé là). Ce C’EST où ça ne se fait plus.
Curieuse coïncidence : Blanchot trouve trace de la même chose. Dans L’Espace Littéraire.
Ce mot, ce mot plein, constat, creuset, C’EST... c’est à dire état, constat et plus de description, plus de parole sur, plus de parole après. La chose est, les choses sont. Rien après. Il n’y a plus à compléter l’objet, à ajouter de qualificatifs, le prédicat seul, le verbe seul, tout seul. Résumant posant finissant. Sur le C’EST. Point.
Ce point où finit l’œuvre. Ce point où, en ce moment, mon œuvre s’est refermée, inachevée évidemment.
Elle me tient hors d’elle, je ne sais plus par où rentrer.
Ce point accomplissement et disparition. A la fois.
Fini et à peine encore né.
Ce point au bord de l’impossibilité. « Avec quoi le silence » écrit Mallarmé...
Et c'est alors plusieurs milliers de pages rassemblées, en quelques deux cents feuilles "propres" de courts récits s'enchaînant...